L’année 2024 ramène encore à l’ordre du jour un débat enclenché depuis plus de deux décennies. L’acte fondateur de la revendication africaine pour une représentation équitable de l’Afrique au Conseil de Sécurité des Nations unies remonte à mars 2005 avec l’adoption d’une position commune africaine sur la reforme des Nations unies connue sous l’appellation « Consensus d’Ezulwini ». Ce consensus initial exige « l’attribution à l’Afrique de deux (2) sièges de membre permanent avec tous les privilèges, y compris le droit de veto, et de cinq (5) sièges de membre non permanent au Conseil de Sécurité » comme le confirme la déclaration de Syrte du 05 juillet 2005. Presque 20 ans après ce consensus, le Conseil de sécurité des Nations unies a discuté le 12 août 2024 de l’impératif du renforcement de la représentation de l’Afrique en son sein pour restaurer une justice historique pour le continent noir.

Les débats mettent en évidence un devoir moral de la communauté internationale vis-à-vis de l’Afrique dans l’étau des intérêts nationaux. La présente réflexion apporte un éclairage sur une tension visible entre la volonté de la communauté internationale de réparer « un tort historique » fait à l’Afrique et le besoin de protéger les intérêts nationaux et de groupes. La déléguée de la Suisse, critiquant la composition anachronique, ancienne et archaïque du Conseil de Sécurité des Nations Unies, se réfère à une sagesse africaine qui indique que « quand la musique change, la danse doit faire de même ».

Il est intolérable que 20% de la population mondiale détiennent près 50% des 15 sièges du Conseil et 80% des droits de veto. Il s’agit là d’un devoir moral de changement qui s’impose à la communauté internationale, surtout pour ce qui concerne l’Afrique, victime d’une injustice historique. Tous pour une représentation équitable de l’Afrique au Conseil de sécurité. Un consensus international se dégage en faveur de l’élargissement du Conseil de sécurité avec une meilleure et équitable représentation pour l’Afrique. Ce contient qui représente 28% des membres de l’ONU et accueille la majorité des opérations de maintien de la paix n’a que trois membres non permanents au Conseil. Cette situation porte atteinte aux principes d’équité, d’inclusion et d’égalité souveraine des Etats, notamment des Etats africains.

Selon l’Afrique du Sud, l’Afrique est perçue comme un continent en retard, toujours à la demande de l’aide internationale sans être un agent de progrès. Elle rappelle que l’industrialisation de l’Occident s’est faite grâce à l’exploitation des esclaves africains. La première puissance africaine dénonce le néocolonialisme qui continue de définir les relations économiques de l’Afrique avec les pays riches. La position commune africaine, présentée par M. Julius Maada Bio, Président de la Sierra Leone, dont le pays coordonne le Comité des 10 chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine sur la réforme du Conseil de sécurité, exige deux sièges permanents au Conseil de sécurité (avec veto) et deux sièges non permanents supplémentaires, ce qui porterait à cinq le nombre total de sièges non permanents réservés au continent.

L’Afrique souhaite en outre que le veto soit aboli, mais que si les États Membres souhaitent le conserver, il doit être étendu à tous les nouveaux membres permanents par souci de justice. Cette représentation équitable donnera à l’Afrique un pouvoir de décision sur les questions de paix et de sécurité, notamment sur le continent noir. Pour l’Algérie, « une représentation sans efficacité ne suffira pas, et une efficacité sans représentation ne sera pas utile ». Dans le même sens, le Japon, la Chine, la France, les Etats-Unis d’Amériques, la Suisse, la Russie sont en faveur d’une représentation de l’Afrique qui reflète les changements de l’ordre international.

L’Union Européenne et d’autres Etats non membres du Conseil sont solidaires de l’Afrique à travers sa position commune. Il est impératif de permettre à l’Afrique de disposer d’une plateforme lui permettant de se faire entendre et d’être écoutée avec autorité en tant que partenaire égal et contributeur de taille au système multilatéral. En somme, les « voix africaines doivent être plus nombreuses et les États Membres africains devraient avoir une plus grande influence sur les travaux » du Conseil comme le recommandent les pays nordiques. Malgré ce consensus, les intérêts nationaux demeurent audibles, surtout de la part des grandes puissances.

Force reste aux intérêts nationaux et de groupes. Le diable est dans les détails. En analysant les positions des Etats et des groupes, on perçoit la manifestation d’intérêts nationaux en contradiction avec le consensus d’une représentation équitable pour l’Afrique au sein du Conseil de sécurité et dans les autres instances onusiennes et des institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. La République de Corée invite à répartir les sièges non permanents entre cinq groupes régionaux, proportionnellement à la taille de chacun d’entre eux. Pour la République de Corée, Le groupe Asie-Pacifique est le groupe régional le plus sous-représenté au sein de l’actuel Conseil de sécurité, avec 53 États membres en rotation pour seulement 2 sièges non permanents.

 Le groupe Asie-Pacifique est contre la demande africaine de deux sièges permanents pour représenter l’ensemble du continent. Ce concept de « siège permanent régional » est inconcevable pour le groupe Asie-Pacifique. Cette contestation est fondée sur le fait que le veto est l’expression de la puissance d’un Etat. La Chine et la Russie rejoignent la position sud-africaine pour dénoncer le comportement néocolonialiste de l’Occident. En effet, la Chine appelle à un monde plus multipolaire et une économie internationale plus inclusive avec l’Afrique comme puissance.

Elle accuse certains pays occidentaux d’avoir gardé une mentalité colonialiste, entretenant un ton moralisateur et se donnant le droit de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays africains pour perpétuer l’oppression et l’exploitation. La Fédération de Russie invite à juguler les conséquences du colonialisme qui s’étendent à tous les domaines de la vie de la société africaine comme la question de la dette ou encore l’absence de représentants du Sud dans les structures de gestion de Bretton Woods et les institutions de développement de l’ONU. La plupart des peuples d’Afrique ayant obtenu leur indépendance voient leurs anciens colonisateurs gérer les questions les concernant au Conseil de sécurité. La Russie n’est pourtant pas disposée à une large composition du Conseil de sécurité et à la suppression du veto. 

Ces discours chinois et russes laissent transparaître une volonté de rapprochement de l’Afrique pour une alliance stratégique contre l’Occident qui sabote tous les efforts de réforme du Conseil. Au nom du Groupe du consensus, Malte prêche pour une représentation renforcée de l’Afrique au sein du Conseil tout en souhaitant un exercice limité du veto, notamment en cas de commission de crimes graves. Pour le G4 composé de l’Allemagne, du Brésil, de l’Inde et du Japon, toute réforme du Conseil qui ne remédierait pas au manque de représentation, en particulier dans la catégorie des membres permanents, ne ferait qu’exacerber les déséquilibres et le rendrait mal équipé pour relever les défis internationaux actuels. 

Ces puissances incontestables veulent faire entendre leur voix et faire comprendre que le veto est d’abord l’expression de la puissance de l’Etat. Au-delà d’une morale internationale pour instaurer une justice pour l’Afrique, la communauté internationale ne doit pas occulter les rapports de force et les intérêts nationaux et de groupes. Les débats sur la représentation équitable de l’Afrique montrent certes un consensus en faveur du continent noir mais révèlent également les divergences.

D’un côté, les Etats-Unis, la France et le Japon croient au Pacte pour l’avenir pour proposer une solution équitable concernant la représentation de l’Afrique au sein du Conseil et dans les instances internationales. De l’autre, l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie dénoncent la posture néocoloniale occidentale. L’opposition entre le Nord Global ou l’Occident collectif et le Sud Global piloté par les champions des BRICS se fait jour dans les débats sur la représentation équitable de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU. La révolution sahélienne est-elle porteuse de changement ?

A ces débats, un nouvel acteur géopolitique ne s’est pas fait entendre. Il s’agit de la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel composée du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Les pays de la Confédération AES dénoncent l’impérialisme et le néocolonialisme, combattent le terrorisme, prônent l’égalité dans les relations avec l’extérieur et exigent leur place au centre d’une géopolitique en forte mutation. Il faut se résoudre à comprendre que les nouvelles autorités au Sahel et les peuples sahéliens revendiquent une souveraineté pleine et une dignité respectueuse.

Les Etats sahéliens veulent traiter d’égal à égal avec les autres nations du monde à travers des relations mutuellement avantageuses. Au regard de la divergence des intérêts nationaux et des rapports de force internationaux, des sièges permanents pour l’Afrique selon l’esprit du « Consensus d’Ezulwini » demeure une quête de longue haleine. Malgré les beaux discours, il semble difficile de remédier à l’injustice historique et renforcer la représentation effective de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies sans une révolution dans le monde.

Il faudrait davantage un changement de contexte en faveur de l’Afrique avec un changement en profondeur des rapports de force. Les dynamiques sahéliennes de contestation de l’ordre établi et l’émergence du Sud Global seraient-elles suffisantes pour rompre avec cette marginalisation de l’Afrique dans les instances de décision internationales ? Il faudrait répondre sans passion et sans émotion à la question de savoir si c’est la morale qui gouverne le monde ou si ce sont les intérêts nationaux qui déterminent la position des acteurs internationaux, notamment des grandes puissances détentrices du droit de veto ?

Dr Poussi Sawadogo
Ambassadeur/Directeur Général de l’INHEI