Après la présentation de ses lettres de créance le 25 novembre 2022, Alexey Saltykov, ambassadeur non-résident de la Fédération de Russie au Burkina Faso, a poursuivi les efforts de raffermissement des liens de coopération entre Moscou et Ouagadougou, un axe qui a d’ailleurs eu un regain de vitalité notable avec l’avènement du MPSR II. A travers cette interview réalisée le mardi 20 février 2024, le diplomate russe, bien imprégné de l’environnement africain pour avoir occupé plusieurs fonctions en Guinée, Côte d’Ivoire, au Tchad, Mali, au Kenya et en Namibie, passe au crible, la coopération bilatérale (sécurité, développement socio-économique, jeunesse et emploi…) et multilatérale (lutte contre le phénomène terroriste, diplomatie internationale de la Russie, crise russo-ukrainienne…). Alexey Saltykov…, interview !
Lefaso.net : Après la cérémonie officielle de réouverture de l’ambassade de la Russie au Burkina, le 28 décembre 2023, signe du réchauffement de l’axe Moscou-Ouaga, à quand l’arrivée de l’occupant ?
Alexey Saltykov : Je tiens, avant tout, à vous remercier de m’avoir invité dans vos locaux. Je suis un fidèle lecteur de votre organe et j’ai toujours eu cette envie de venir chez vous ici pour donner les opinions en tant qu’ambassadeur de la Fédération de Russie sur certaines questions qui intéressent les Burkinabè et tous ceux qui vous lisent au-delà des frontières, à l’international. Pour revenir à la question, je dirai qu’elle est intéressante, et je peux vous assurer que l’arrivée d’un ambassadeur, c’est pour très prochainement.
C’est une situation qui ne dépend pas de ma volonté personnelle, elle dépend uniquement de la décision du président Vladimir Poutine, responsable de la nomination des ambassadeurs à l’étranger, sur présentation du ministre des affaires étrangères et ce doit être approuvé par l’Assemblée fédérale (donc, la Douma d’Etat : la chambre basse, et le Conseil de la Fédération : la chambre haute). Je suis donc sûr que dans les mois à venir, on va connaître le candidat qui sera proposé au président Poutine pour être nommé ambassadeur de la Fédération de Russie au Burkina Faso.
La coopération n’était certes pas rompue…, mais quels seront les axes prioritaires de coopération entre le Burkina et votre pays, la Russie ?
Vous avez raison quand vous dites que les relations ne se sont jamais rompues, quoi que la fermeture de l’ambassade en 1991 a freiné un tout petit peu la dynamique d’évolution, pas les relations elles-mêmes ; parce que les affaires courantes ont été expédiées par l’ambassade d’Abidjan, qui a repris les activités de l’ambassade de Ouagadougou. J’ai été d’ailleurs parmi ceux qui ont travaillé à ce moment-là à Abidjan, et je faisais beaucoup de navettes entre Abidjan et Ouaga.
A cette époque, c’était possible par la route, c’était même très intéressant, ça permettait de connaître le pays, le paysage, etc. Et pendant la fermeture de l’ambassade, quoi qu’il y a eu la chancellerie à Abidjan, on a mis en place le Consulat honoraire qui est arrivé un peu plus tard et la candidature de madame Anna Rachina Coulibaly comme consul général honoraire a été approuvée. Je retiens d’elle qu’elle est une personne très dynamique, dévouée dans tout ce qu’elle faisait dans le cadre de ses missions. Son travail a été remarquable, elle a su maintenir les liens à un niveau correct qui répondait aux besoins des deux pays.
Revenant à l’aspect de votre question relative aux priorités, je pense que c’est aux Burkinabè de dire quelles pourraient être leurs priorités dans les relations. Mais, ma perception est qu’on doit d’abord résoudre le problème de sécurité. C’est la sécurité qui contribue en grande partie au développement du réseau industriel. Le réseau industriel contribue, à son tour, à la création d’emplois. La création d’emplois contribue à la résolution du problème de chômage. Quels pourraient être les secteurs pour y parvenir, je dirais que vous êtes (le Burkina Faso), un pays riche ; il y a beaucoup de minerais, on a l’agriculture qui marche bien, mais dont les produits ne sont pas transformés sur place pour être conservés longtemps, y compris la viande.
D’ailleurs, le Burkina Faso a de la viande de qualité exceptionnelle. Et à ce sujet, je reviens en arrière pour dire qu’il y a environ 30 ans de cela, quand on faisait la navette Abidjan-Ouaga, on se rendait au matin de notre départ pour s’approvisionner sur le marché de viande qui était quelque part dans la périphérie de la capitale. On chargeait dans nos glacières et transportait ça à Abidjan. Tout cela, pour dire que l’agro-industrie est très importante, pour pouvoir non seulement produire, mais aussi conserver. Il faut savoir par exemple faire, pas seulement de la purée, mais de la tomate concassée. Il y a également le secteur de l’énergie, où je sais que les infrastructures sont un peu vétustes ; il faut s’y attaquer, changer les lignes qui ne supportent plus la charge.
C’est également un domaine très important. Il faut envisager le développement du nucléaire, le Burkina a signé en 2023 avec une société russe, un mémorandum de coopération en la matière et le ministère burkinabè en charge de la question est sur l’élaboration de la feuille de route pour que ce soit opérationnel. Il y a bien d’autres domaines, tels que la médecine, l’éducation, les infrastructures, les grands travaux. Nous venons d’ailleurs de sortir du ministère en charge des infrastructures où nous avons discuté de quelques axes prioritaires par lesquels nous pouvons développer des partenariats gagnant-gagnant entre le Burkina et la Fédération de Russie. Il y a donc bien de domaines de coopération et c’est sûr qu’au fil du temps, on verra quels sont les autres secteurs de coopération possibles.
Vous connaissez bien la zone, vous faisiez volontiers la navette Abidjan-Ouaga, quel est le sentiment personnel que vous éprouvez de savoir qu’aujourd’hui, cette quiétude dans les déplacements dans ces zones est perturbée ?
Effectivement, et c’est pour cela je soulignais que la chose primordiale, c’est d’assurer la sécurité dans le pays. Je disais à ce sujet à mes collègues qu’il y a 30 ans, c’était difficile d’imaginer qu’il y aura un jour ce phénomène terroriste. Le problème de banditisme, oui ; des voyous qui agressent avec des couteaux pour demander de l’argent, ça existait, mais pas le souci de terrorisme. Et on sait pourquoi le problème de terrorisme existe aujourd’hui, c’est une boîte de Pandore qui a été ouverte par le déclenchement des événements en Libye. C’est cette situation de la Libye qui amené le terrorisme dans le Sahel, et depuis, les peuples des pays touchés ne peuvent vivre tranquillement ; les gens souffrent, les populations se déplacent, il y a des pertes en vies humaines, etc.
Cela nous ramène à des propos du président Vladimir Poutine en 2015, en marge du forum économique de l’Est, concernant le problème de terrorisme, et je le cite : « Nous devons ensemble lutter contre le terrorisme, l’extrémisme de toutes sortes et, surtout, dans les pays en difficulté. Eh bien, comment peut-on aller de l’avant dans les régions qui sont contrôlées par le soi-disant Etat islamique ? Impossible : les gens fuient de là, ils détruisent des centaines et des milliers de personnes, font exploser des monuments culturels, brûlent des personnes vivantes ou les noient, coupent la tête des personnes vivantes. Comment vivre là-bas ? Bien-sûr, les gens fuient de là. Si nous unissons nos efforts dans ces domaines, alors nous obtiendrons des résultats positifs, si nous agissons de manière disparate et discutons entre nous sur les principes et les procédures quasi démocratiques dans certains territoires, cela nous mènera encore plus dans une impasse ».
Ce sont les propos du président Poutine, quand il lançait l’idée de créer la coalition des Etats pour circonscrire ce fléau. Malheureusement, ça n’a pas été entendu, il n’y a pas eu de réactions, sinon le monde n’aurait jamais connu d’extension de ce fléau. Le terrorisme est comme une gangrène, une maladie qui se propage à grande vitesse.
Et l’actualité sous-régionale, sur cette question cruciale, avec son pendant de création de l’AES, semble finalement donner raison à Poutine !
Exactement ! Vous savez, l’idée de créer l’AES appartient vraiment aux pays qui représentent aujourd’hui l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme. Et je sais que les trois Etats ont pris des engagements réciproques pour échanger des renseignements, former des contingents communs, envoyer en cas de besoin des troupes d’un Etat à un autre, etc. Bien-sûr, il faut que la communauté internationale appuie correctement les trois Etats (Burkina Faso, Mali, Niger). Mais, le rôle principal appartient aux Africains. Nous, notre rôle, c’est d’appuyer les efforts des Etats africains. C’est donc bien déjà, ce qui est fait dans ce sens.
Au plan institutionnel, on sait ce que vaut la coopération entre la Russie et le Burkina Faso, mais au-delà, il y a l’aspect non officiel entre citoyens russes et burkinabè. Peut-on avoir une idée de la communauté russe au Burkina et dans quels domaines exercent-elle, en général ?
C’est une question très importante pour un ambassadeur, parce que la communauté russe qui habite dans un pays est un support très important pour les autorités diplomatiques. La communauté russe et j’ajouterais russophone n’est pas très grande ici au Burkina Faso ; d’après les estimations, c’est peut-être 40 à 50 personnes. Là, je parle des personnes qui habitent de manière permanente ; des femmes, leurs enfants, petits-enfants… La diaspora russe au Burkina est composée principalement de femmes russes qui ont épousé des Burkinabè qui étudiaient autrefois dans des universités russes/soviétiques. Leurs femmes les ont suivis ici au Burkina Faso et aujourd’hui, elles sont bien installées, se sentent bien, elles n’ont jamais eu le sentiment d’être loin de leur patrie.
Ces personnes ont des cadres de rencontres, elles se retrouvent pour commémorer par exemple les grandes dates de l’histoire de la Russie. Et parmi, vous avez des fonctionnaires, ingénieurs, enseignants, médecins, biologistes, architectes, agronomes. Nous avons par exemple l’association des femmes russophones, « Raduga » (ou « Arc-en-ciel » en français), qui a commencé à fonctionner en recevant le statut officiel en 2008. Plusieurs de ses membres ont contribué de manière significative non seulement au développement des relations amicales entre nos deux pays, mais également au service public du Burkina Faso, dont beaucoup se sont fait décernés des médailles de mérite.
L’une d’elles, Mme Tatiana Savadogo, a consacré de nombreuses années à la lutte contre le VIH/SIDA chez les enfants au Centre hospitalier universitaire pédiatrique Charles de Gaulle. Anna Rachina Coulibaly, Consul honoraire général de Russie au Burkina Faso, que j’ai déjà mentionnée plus haut, est une autre figure emblématique dont la contribution au développement des liens entre nos nations est importante. En outre, au début de cette année, la maison russe non-gouvernementale au sein de laquelle travaillent nos professeurs de la langue russe, a commencé ses activités à Ouagadougou.
Il est impossible de ne pas mentionner les employés russes de la société d’extraction d’or, Nordgold, qui est engagée dans la production de l’or depuis de nombreuses années, des spécialistes d’autres domaines d’activité qui, récemment, grâce à l’excellence des relations amicales entre nos deux pays, arrivent de plus en plus au Burkina Faso. Rien qu’hier (l’entretien a eu lieu le mardi, 20 février, ndlr), j’ai croisé des hommes d’affaires russes, qui ont déjà tissé des liens avec des Burkinabè, pour explorer le sous-sol avec la méthode de sondage par satellite pour voir quels sont les potentiels qui peuvent les intéresser.
Il faut créer les possibilités de s’appuyer sur les ressources locales, pas regarder le côté crédit étranger, il faut voir ce qu’on peut faire localement, notamment en voyant les possibilités d’exploiter le sous-sol. C’est un exemple parmi tant d’autres, parce que vous avez des gens qui sont intéressés à créer une société mixte dans le domaine des hydrocarbures et la société Nordgold qui pense également à l’extension en misant sur le volet social par la participation des populations riveraines de la mine.
Les 23 et 24 octobre 2019, s’est tenu le tout premier sommet Russie-Afrique, avec pour principal objectif de marquer officiellement le retour de Moscou sur le continent africain. En juillet 2023, a eu lieu le deuxième sommet Russie-Afrique, peut-on revenir sur les grandes conclusions et surtout les nouveaux engagements qui ont été pris ?
Je voudrais m’appuyer sur les chiffres, pour montrer que le deuxième sommet Russie-Afrique a été l’un des évènements internationaux les plus importants de l’année 2023. Malgré la pression aigue, sans précédent de l’Occident pour empêcher sa tenue, les délégations officielles de 48 des 54 États africains et de cinq organisations régionales africaines ont pris part à cet évènement. 27 pays du continent étaient représentés au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Le sommet a enregistré plus de 9 000 participants et des représentants de médias de 104 pays (pas seulement de pays africains). Ce sommet a continué dans la logique du premier, qui s’est tenu en 2019. Les participants à ce sommet ont adopté cinq documents de coopération, dont les principaux étaient la Déclaration du deuxième sommet Russie-Afrique et le Plan d’action du Forum de partenariat Russie-Afrique pour 2023-2026.
Plus de 160 accords, mémorandums et plans d’action ont été conclus. Des mémorandums sur la base des relations et de la coopération entre le gouvernement de la Fédération de Russie et l’Autorité inter-gouvernementale pour le développement (IGAD), ainsi que la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), d’autres accords inter-gouvernementaux et documents importants ont été également signés. C’est un sommet qui a donné aux Africains, le sentiment d’un partenariat fiable ; d’être en face d’un partenaire crédible, la Russie, qui écoute ses partenaires, qui n’impose rien, qui observe les principes de ne pas s’ingérer dans les affaires internes des pays. C’est cela qui a été mis en exergue par le sommet, et les rencontres qui ont eu lieu entre le président Poutine et tous les chefs d’Etat africains qui étaient présents étaient dans cet esprit.
Il y a eu une rencontre avec le chef d’Etat du Burkina, rencontre à laquelle j’ai participé ; c’était l’expression de la volonté commune de développer les relations bilatérales. Sans réserve, le chef d’Etat burkinabè a dit que la Russie est un partenaire stratégique pour le Burkina Faso.
En ce qui concerne les nouveaux engagements pris par la Fédération de Russie, je voudrais souligner que la question la plus importante à l’ordre du jour russo-africain est l’exportation par notre pays, de technologies et de compétences, conçues pour assurer la création dans les pays africains de leur propre production, nourriture, énergie, auto-suffisance infrastructurelle, grâce auxquelles, ils pourraient sortir du paradigme de la dépendance des fonds des donateurs et de l’aide humanitaire occidentale.
Je voudrais également souligner l’importance de coopération dans le domaine de l’éducation qui est la base du développement de l’Afrique. Un de nos objectifs définis au cours du sommet est de renforcer le potentiel du continent en accordant davantage de bourses aux Africains, en ouvrant des branches d’universités, des maisons russes et des écoles secondaires dans les pays du continent africain.
Le deuxième sommet s’est également soldé par la remise de céréales, le blé, à des pays africains. Pour ce qui est du Burkina, c’est certainement un dossier que vous avez suivi personnellement, des péripéties, il n’en manque certainement pas !
C’est vrai que ce volet important de coopération a été géré par l’ambassade et bien-sûr par les autorités burkinabè. Nous étions en étroit contact avec l’ambassade du Burkina Faso à Abidjan et le ministre en charge de la solidarité et des actions humanitaires, et naturellement le ministre des affaires étrangères. En tout cas, tout s’est bien passé, hormis quelques petites entraves liées à des intempéries (des pluies notamment), à un manque de camions pour charger le blé, etc. Mais, cela n’a pas empêché de décharger la cargaison toute entière au bout de trois semaines environ, puis le blé a été transporté sur le territoire burkinabè. Je sais qu’une partie a été livrée à Ouagadougou, il y a les grands moulins ici, qui vont travailler pour faire la farine et certainement pour être distribuée à des populations vulnérables ; ces veuves, ces orphelins… (comme vous le savez, il y a des millions de Burkinabè qui souffrent des affres terroristes). Nous sommes prêts à continuer davantage en tant que le plus grand producteur de blé. Cette aide à des pays en blé, en engrais, est devenue une pratique courante pour le président Poutine.
Aujourd’hui, la Russie est incontestablement le partenaire le plus choyé dans les Etats en crise sécuritaire, notamment dans l’espace AES. Ne craignez-vous pas qu’à un moment donné, la même jeunesse se retourne également contre elle, si ses attentes ne sont pas comblées ?
C’est philosophique et on peut générer quelques idées là-dessus. A mon avis, il faut regarder les racines de la coopération entre le Burkina Faso et la Russie, de façon générale entre les Etats africains et la Fédération de Russie. Ce sont des relations qui sont fondées sur les principes de la Charte des nations unies et si la Russie fait des propositions et respecte toujours ses engagements, je crois qu’il n’y a aucun souci à se faire. Et aussi, nous faisons régulièrement le monitoring des sentiments de la population burkinabè, et ce que nous observons, c’est que la popularité du président Poutine a considérablement augmenté ces derniers temps, et la confiance en notre pays en tant que partenaire avec lequel on peut parler sur un pied d’égalité, qui respecte la souveraineté de l’Etat, honore les traditions et les valeurs des pays africains, leur désir de déterminer leur propre destin, de construire librement des relations et une coopération internationales. La Russie doit donc développer ses relations avec le Burkina Faso pour que les attentes des jeunes soient satisfaites. Et pourquoi, en fait, les attentes envers la Russie ne devraient pas être justifiées ?
Il me semble que depuis la lutte pour l’indépendance, il n’y avait jamais de sentiments de rejet de la politique de l’ex-Union soviétique, puis de la Fédération de Russie. Donc, à mon avis, c’est une amitié qui est soudée par ces sentiments. Et puis, ce qui nous diffère des Occidentaux, c’est que nous ne transférons pas à nos partenaires des « modèles de comportement et de culture » universels. La Russie propose à l’Afrique des relations mutuellement bénéfiques, soutient le renforcement de la souveraineté des États africains et appelle à la prise en compte de leurs intérêts nationaux. Contrairement aux Occidentaux, comme je l’ai déjà évoqué, chaque nation a le droit fondamental de choisir sa propre voie de développement. Dans le même temps, nous sommes convaincus que le continent africain ne doit pas devenir une arène de confrontation entre des acteurs extérieurs et que les Africains sont appelés à trouver eux-mêmes des solutions à leurs problèmes. Nous partons du fait que l’Afrique, dans le contexte de la transformation globale du modèle des relations internationales, continuera à renforcer sa position comme l’une des régions importantes du monde moderne.
La jeunesse ne peut pas être trompée par mon pays, par son gouvernement. C’est aussi mon rôle, en tant qu’ambassadeur, de dire la vérité aux Burkinabè, les informer de la politique extérieure de la Fédération de Russie. Parfois, les gens n’ont pas la bonne information, ils écoutent des médias engagés (heureusement que les autorités ont diminué leur nombre). Il faut que les gens sachent réellement ce qui se passe dans le monde, et non ce qui est dit dans certains médias occidentaux de propagande. C’est le cas actuellement avec la crise en Ukraine, où on tente de manipuler les choses contre la Russie. On accuse la Russie, alors que toute accusation doit être soutenue par des preuves, des faits. S’il n’y a pas de faits, on considère toute accusation comme le désir de quelqu’un de faire croire à tel ou tel autre évènement qui n’a jamais eu lieu.
La préoccupation commune aux Etats africains, notamment ceux de l’AES, c’est aussi l’emploi des jeunes et le bien-être de la femme à travers des activités génératrices de revenus. Avez-vous des politiques spécifiques en direction de ces deux catégories sociales, quand on sait que ces facteurs peuvent être un fertilisant pour le terrorisme ?
Mon prédécesseur, M. Baykov, envers qui j’ai beaucoup d’estime, a, dans une sortie, essayé d’analyser les causes de cette situation, et il a raison sur les éléments qu’il a évoqués parce que, tant que les conditions économiques et sociales ne sont pas réunies, on ne peut pas atteindre la stabilité. Ce sont des éléments par lesquels les terroristes passent pour agir, notamment en achetant les consciences. C’est pourquoi il faut d’abord créer des conditions sociales et économiques. Cela passe obligatoirement par le développement du réseau industriel, de l’agriculture, bref dans tous les domaines de l’économie. Le problème du chômage est réel, et je crois que les autorités en sont conscientes et essaient de trouver des solutions.
<p class="note" data-mc-autonum="Note: « >Lire aussi : Coopération : « La Russie est de retour sur le continent africain », Vladimir Baykov, ambassadeur de Russie au Burkina FasoLe gouvernement russe pourrait accompagner le gouvernement burkinabè dans ses efforts visant à faire de l’emploi une priorité dans les programmes politiques pertinents. Les migrations extérieures dans le pays signifient que l’économie nationale n’est pas encore en mesure de fournir le travail que beaucoup de jeunes générations espèrent. Le développement de l’éducation peut être un outil efficace pour stimuler le changement social et économique au Burkina et en Afrique de façon générale. Nous ne pouvons pas rester en dehors de l’appui du Burkina à un moment où le pays mobilise la société pour repenser l’éducation qui doit être accessible à tous. Au Burkina, les efforts qui contribuent indirectement à l’emploi et à la protection sociale sont également importants. Il s’agit des programmes d’éducation et de formation, de santé, d’alimentation et de logement, de politiques migratoires, de mesures de planification familiale, etc. La mise en œuvre de tous ces programmes nécessite des efforts ciblés de la part du gouvernement burkinabè et des partenaires internationaux du Burkina, dont la Russie, pour maintenir le niveau de dépenses sociales nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux de la population.
Voilà pourquoi il faut saluer les efforts dans la lutte contre le terrorisme. Quand j’échange avec les gens, ils disent qu’il y a de l’amélioration et cela est réconfortant. Mon pays est là pour accompagner également dans ce sens, en dotant les autorités burkinabè de compétences et de savoir-faire. On continue d’ailleurs la formation des hommes de troupe burkinabè dans les écoles militaires de mon pays ; c’est cela qui augmente la capacité dans la lutte contre le fléau terroriste.
Pour revenir à la question de l’emploi, je dirai qu’il faut aussi faire des efforts qui contribuent indirectement à l’emploi et à la protection sociale. Par exemple, les problèmes d’éducation et de formation, les problèmes de santé, d’alimentation, de logement…, ce sont des choses qui doivent être réglées, pour donner plus de confiance et de sécurité aux femmes, de la confiance et de l’espoir aux jeunes. La Russie octroie dans ce sens, des bourses d’études aux Burkinabè, et le nombre augmente d’année en année. Nous allons continuer dans ce sens, parce que le pays a besoin de spécialistes bien formés.
Comme brossé plus haut, en 2015, à la tribune des nations unies, le président Vladimir Poutine a lancé un appel pour la création d’une coalition internationale contre les terroristes ; appel qui n’a pas eu d’oreille attentive. Qu’est-ce que cela vous fait aujourd’hui de constater une généralisation du phénomène terroriste avec, au-delà des trois pays de l’AES, des pays côtiers comme le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, touchés à divers degrés ?
La situation dans la région sahélienne reste tendue, en particulier avec l’augmentation des activités des groupes terroristes et l’expansion de leurs zones d’activité vers les États du golfe de Guinée. Pour parvenir à une stabilisation à long terme, il faut que la communauté internationale appuie collectivement le Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui représentent l’avant-garde de la lutte contre les groupes terroristes. Dans le même temps, le rôle principal dans le maintien de la paix et de la sécurité dans la région sahélienne devrait appartenir aux Africains eux-mêmes.
Vous savez, le terrorisme est comme l’eau ; si tu verses de l’eau ici, dans un endroit que tu considères comme hermétiquement fermé, tôt ou tard, elle va trouver un point d’échappement. C’est la même chose, étant donné que des pays du Sahel ont commencé la lutte acharnée contre les bandes terroristes dans la zone sahélienne, ils n’ont pas de choix que d’aller voir où est-ce qu’ils peuvent se sauver. Raison pour laquelle, ils choisissent les zones qui sont frontalières, c’est-à-dire les pays du golfe de Guinée. Et il faut avoir le courage de le dire, la situation est vraiment inquiétante. Pour cela, la lutte doit être collective. Je sais qu’il y a des critiques vis-à-vis de la CEDEAO, dans le sens qu’elle devrait faire plus d’efforts dans la lutte contre le terrorisme.
Deux ans maintenant que la Russie et l’Ukraine cristallisent les attentions dans le monde à travers la crise qui les oppose. Quelle est la situation exacte aujourd’hui sur le terrain et à quand peut-on espérer la fin de cette guerre ?
Le régime de Kiev ne cesse de commettre des actes terroristes sanglants. Il est encouragé par « l’Occident collectif », qui approvisionne sans retenue les forces armées ukrainiennes avec des armes et des munitions, envoie des mercenaires étrangers et forme les militaires. Ainsi, par exemple, le 21 janvier dernier, des néonazis ukrainiens ont lancé une attaque ciblée à la roquette et à l’artillerie sur le marché et les magasins du quartier des textiles du District de Kirov, à Donetsk. Ce bombardement a été le plus violent de ces dernières années. 27 civils ont été tués et 25 blessés, dont deux adolescents. Nous condamnons fermement les crimes barbares du régime de Volodymyr Zelensky, tous ceux qui les ont rendus possibles. Sans l’appui financier, matériel et politique que le régime de Kiev reçoit de l’étranger, il n’y aurait pas eu d’actes terroristes de ce type. Une fois de plus, nous appelons tous les gouvernements responsables et les acteurs internationaux à ne pas rester à l’écart et à condamner ces actes de violence.
Il est évident, pour la grande majorité des experts non biaisés, que le principal facteur qui empêche la recherche de solutions pacifiques à la crise ukrainienne est le soutien continu de l’Occident au régime de Kiev. Pour ceux qui ont compris la genèse de la crise ukrainienne, il est clair que les affirmations selon lesquelles, la Russie veut « asservir » les ukrainiens ne sont pas vraies. La Russie a lancé une opération militaire spéciale en février 2022, non pas contre l’Ukraine ni contre le peuple ukrainien, avec qui nous sommes toujours liés par des liens fraternels.
Nous avons été contraints de lancer cette opération pour que Kiev renonce à la guerre contre ses propres citoyens dans le sud et le sud-est de l’Ukraine et à la politique de discrimination totale des Ukrainiens russophones, qui sont toujours majoritaires dans ce pays. Avec l’aide du régime de Volodymyr Zelensky, les États-Unis font non seulement la guerre contre la Russie, mais résolvent également le problème stratégique de l’affaiblissement brutal de l’Europe en tant que concurrent économique. Il n’y a pas d’intérêts du peuple ukrainien dans la guerre contre la Russie. Il n’y a que les intérêts des Anglo-saxons et de la haute hiérarchie de Kiev, qui est liée à l’Occident par une caution circulaire et qui craint d’être balayée le lendemain de la fin de la guerre.
Le 21 février marque le 10è anniversaire du coup d’État en Ukraine. Nous n’aurions pas besoin de lancer une opération militaire spéciale si l’Occident n’avait pas autorisé le coup d’état en février 2014 et n’avait pas ensuite donné carte blanche aux putschistes, qui ont immédiatement annoncé qu’ils annulaient le statut de russe en Ukraine, qualifiant les habitants de la Crimée et du Donbass de terroristes. Tout cela s’est passé avec le soutien de l’Occident. Le dénouement contre le Donbass a réussi à arrêter et à signer les accords de Minsk. Ils ont été approuvés à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’est avéré qu’à l’exception du président russe Vladimir Poutine, aucun des signataires n’allait les exécuter. Ils l’ont ensuite avoué eux-mêmes. Les accords prévoyaient la réintégration de la RPD (République populaire de Donetsk, ndlr) et de la RPL (Lougansk, ndlr) en Ukraine dans les conditions ďune large autonomie et du respect des droits de la population de ces régions.
Une opération militaire spéciale est devenue inévitable après des années de tentatives pour convaincre l’Occident du danger de créer une menace immédiate à partir de l’Ukraine directement sur nos frontières, et sur les terres qui ont été posées, maîtrisées, aménagées par les russes pendant plusieurs siècles, dont les descendants y vivent maintenant. Et ils ont été interdits de parler le russe.
Il est à noter que le 31 janvier dernier, la Cour internationale de Justice des nations unies a rendu une décision définitive sur la procédure engagée par l’Ukraine contre la Russie au titre de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme. La Cour a refusé de reconnaître la Russie comme Etat soutenant le terrorisme et a directement déclaré que la RPD et la RPL ne sont pas des organisations terroristes. Aucun signe de financement du terrorisme n’a été trouvé dans ľaide russe au Donbass. Ainsi, « l’opération antiterroriste » commencée par le régime de Kiev en 2014 était totalement infondée et illégale.
Aujourd’hui, dix ans plus tard, il est évident que les rêves des Ukrainiens venus au Maïdan (une grande place, ndlr) en 2014 n’étaient pas justifiés. L’Ukraine est devenue le pays le plus pauvre d’Europe, a perdu sa souveraineté et se trouve sous tutelle des pays occidentaux, qui déterminent sa politique intérieure et étrangère. La négligence juridique, les violations des droits de ľhomme et la corruption sont devenus la norme. L’histoire est falsifiée, le nazisme prospère, la dissidence est réprimée. Il y a des centaines de milliers de morts et de blessés au front. Sur 27 régions ukrainiennes, six, sur la base de l’expression de la volonté de leurs habitants, sont devenues partie intégrante de la Fédération de Russie. La population a diminué, selon diverses estimations, de 46 à 25 millions de personnes. Pour la grande majorité des Ukrainiens, le coup d’État est devenu un tragique point de non-retour à une vie normale et à la confiance dans l’avenir.
En résumé, que devient maintenant l’Ukraine ? Les gens qui sont sortis Maïdan pour manifester et qui pensaient qu’ils allaient entrer dans l’Union européenne et qui voyaient la vie en rose ont été désillusionnés. A l’époque (avant la situation, ndlr), l’Ukraine était bien riche avec l’industrie et l’agriculture. Aujourd’hui, tout est mis en gage (garantie, ndlr), il y a des informations selon lesquelles, toutes les terres sont déjà vendues à certains pays, la dette extérieure est très importante parce que les armes ne sont pas fournies gratuitement et les populations aujourd’hui ne voient pas le paradis qui leur avait été promis. C’est vraiment une tragédie pour l’Ukraine, qui était un Etat riche et dont les populations étaient dans de bonnes conditions.
La Russie est l’une des puissances pourvoyeuses du continent africain en céréales (plus de 25 milliards de dollars en 2018) en engrais. Quel est l’impact de la crise sur ce mouvement vers l’Afrique ?
La Russie est toujours un des principaux fournisseurs de céréales, de l’engrais et des hydrocarbures sur le continent africain. Nous avons démontré que la Russie est un partenaire fiable, qui est prêt à fournir n’importe quelle quantité de ces produits. Le problème, c’est qu’il y a des sanctions énormes, qui ne permettent pas de faire le commerce comme c’était avant : les banques sont déconnectées, les assurances ne sont plus appliquées à des transports battant pavillon russe, nos bateaux ne peuvent pas desservis des ports étrangers, etc. Malgré cela, on trouve des issues…
Donc, la Russie reste toujours un des principaux fournisseurs des produits de première nécessité en Afrique, malgré la crise actuelle.
Il est tout à fait évident qu’un certain déficit alimentaire est apparu en raison de la sous-estimation par l’Occident du rôle de la Russie sur les marchés mondiaux des matières premières. Les mesures restrictives sévères des États-Unis et de l’UE contre notre pays en signe de protestation contre l’opération spéciale militaire en Ukraine ont eu les conséquences les plus graves pour le monde entier.
Malgré la politique de sanctions illégales unilatérales menée par l’Occident à l’égard de la Russie, nous continuons d’exécuter de manière responsable, les contrats internationaux relatifs à l’exportation de produits agricoles, d’engrais et d’autres produits de première nécessité. Récemment, et comme vous l’évoquiez, dans le cadre de l’initiative du président Vladimir Poutine, des quantités de blé ont été livrées au Burkina Faso, en Érythrée, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie et au Zimbabwe. En 2023, le Mali a été approvisionné en céréales, carburant et engrais à titre d’aide humanitaire. La même année, le Malawi et le Kenya ont reçu des engrais dont les quantités énormes ont été bloquées auparavant dans les ports européens.
Nous sommes conscients de l’importance de ces produits de première nécessité pour le développement social et économique des États africains, leur sécurité alimentaire.
Contrairement aux déclarations de l’Occident sur l’augmentation des prix des denrées alimentaires et l’aggravation des menaces de famine suite à l’échec de l’accord céréalier de la mer Noire, le coût de blé sur les marchés mondiaux diminue régulièrement.
La Russie continue de se classer première dans les exportations de blé et des engrais sur les marchés internationaux. Ainsi, en 2023, nous avons récolté 147 millions de tonnes de céréales. Nous sommes prêts à fournir des céréales et engrais russes aux États en besoin, ainsi que de remplacer complètement du blé ukrainien, qui ne représente que 2% de la production mondiale, à des prix acceptables pour tous les pays intéressés.
A vous les propos de fin !
Je vous remercie sincèrement pour cette interview qui va, je suis sûr, toucher un large public et faire connaître la politique russe, parce que vous êtes un média très connu et très suivi. Cette interview va également permettre de comprendre la situation réelle en Ukraine et la position de la Russie sur le sujet.
Je voudrais enfin exprimer aux Burkinabè et au Burkina Faso, notre sentiment d’amitié profonde. Nous avons rouvert l’ambassade ici au Burkina Faso, je suis sûr que cela va donner une impulsion nouvelle à nos relations bilatérales. On se dit à bientôt, ce sera toujours avec plaisir que je répondrai à vos questions, merci !
Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Images/V : Auguste Paré et Bonaventure Paré
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