Le Forum Chine-Afrique a levé les rideaux ce mercredi 4 septembre à Pékin, qui a commencé à enregistrer depuis quelques jours avant, les vagues d’arrivées de délégations africaines, conduites à divers niveaux du sommet de leur Etat. Neuvième du genre, le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) 2024, qui s’étend au 6 septembre, a pour thème : « Unir nos forces pour faire progresser la modernisation et construire une communauté de destin sino-africaine de haut niveau ». Tensions géopolitiques sur la scène internationale, des Etats africains toujours l’ombre d’eux-mêmes et dans une Union africaine frappée par la routine, des regroupements régionaux africains qui patinent…, bref, un continent africain en rangs dispersés, tel est le contexte de ce forum. Enjeu d’un sommet triennal (et alterné entre la Chine et l’Afrique) et considéré comme pilier des relations entre l’Afrique et la Chine.
C’est de la tautologie de dire que le continent africain est devenu le terrain d’une compétition géopolitique et géostratégique pour les grandes puissances, qui y déroulent « leurs visions de l’avenir ». En témoigne le nombre de sommets qui existent aujourd’hui entre le continent africain et ces puissances mondiales. Outre ses ressources du sous-sol, l’importance numérique de ses membres, le continent africain est une force en matière de démographie. En effet, et sur ce dernier aspect qui constitue également un enjeu de taille, d’ici à 2050, un individu sur quatre dans le monde sera Africain, selon les spécialistes. C’est dire en peu de mots que cette démographie sera une force pour l’Afrique ou une tempête pour elle, selon qu’elle saura exploiter cette donne ou pas.
Les différents sommets à travers le monde qui appellent tout un continent de 54 Etats à discuter avec une puissance ou un groupement d’Etats numériquement moins important doivent donc être optimisés et servir à se positionner pour tirer profits de ce qui fait courir les grands du monde.
Le neuvième sommet Sino-Afrique se tient dans un contexte de tensions géopolitiques qui montent, dans lesquelles les puissances cherchent à renforcer leur position ; chacune face à l’autre. Ce qui devait être une aubaine pour l’Afrique de négocier un partenariat encore plus conséquent, basé sur le durable et l’intérêt commun. Cela semble de la mer à boire, tant le continent n’a jusque-là pas réuni les conditions de sa propre force pour peser conséquemment sur cette scène que constituent ces multiples sommets.
Les critiques qui ont valu hier au sein de l’opinion africaine vis-à-vis de la participation des pays africains à ces cadres demeurent, avec l’accentuation, malheureusement, de certains passifs. On retiendra à ce sujet, et au passage, que le FOCAC 2024 arrive à un moment où le continent court toujours après un minimum d’unité entre ses membres, ne serait-ce que sur les questions cruciales de préservation de la vie (indifférence ou passivité dans les conflits, crises et famines sur le continent) ; une Union africaine qui semble croupir sous le poids de la routine (« L’Union africaine connaît une désaffection… » ) ; des regroupements régionaux (dont la CEDEAO est considérée comme la plus achevée) de plus en plus en panne de confiance avec leurs propres citoyens ; une tradition de solidarité africaine qui s’effrite au fil du temps, etc. Avec une telle mine, il est difficile que les États africains soient plus que des spectateurs et admirateurs des indices de développement et de l’évolution des pays qui les accueillent en fortes délégations d’ailleurs autour de ces sommets. A ce sommet encore, non contents d’y être allés en rangs dispersés, et chacun essayant de tirer le meilleur auprès du roi, ils y trouvent meilleure tribune pour se lancer des pics entre eux et envoyer des pierres aux rois d’hier.
« Les analystes recommandent depuis longtemps une présence africaine unifiée au sein du FOCAC afin d’obtenir des résultats plus efficaces. Cependant, les pays africains négocient souvent de manière isolée, sans stratégie cohérente. En revanche, la Chine a défini ses objectifs dans la Vision 2035 de la coopération sino-africaine. À court terme, les engagements bilatéraux devraient s’aligner sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui met l’accent sur la croissance inclusive, le développement durable, l’intégration régionale, la paix et la sécurité. Les gouvernements africains ne devraient pas attendre le FOCAC pour en déterminer l’ordre du jour, car il est alors souvent trop tard. Le sommet est le point culminant de plusieurs réunions préparatoires, dont les résultats sont en grande partie définis à l’avance. Si les pays africains doivent s’efforcer d’obtenir des conditions favorables lors du sommet, celui-ci doit aussi leur permettre de rejeter les projets non conformes aux objectifs continentaux.
Pour maximiser l’impact des investissements du FOCAC, les efforts des pays africains doivent être en accord avec l’Agenda 2063. Bien que le FOCAC soutienne ces objectifs de manière rhétorique, il est essentiel que les accords bilatéraux avec la Chine s’alignent sur les cadres continentaux, tels que la Zone de libre-échange continentale africaine et les projets d’infrastructure régionaux. Ceci est d’autant plus crucial que le secteur privé joue un rôle croissant dans ces accords, ce qui peut fragmenter les efforts de développement. En respectant l’Agenda 2063 et en promouvant un marché unifié, les pays africains pourraient intégrer les investissements chinois à leurs priorités à long terme et renforcer leur résilience économique », analyse l’Institut d’études de sécurité (organisation multidisciplinaire de sécurité humaine en Afrique).
Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (organisation qui a pour mandat, l’étude des problèmes de sécurité se rapportant à l’Afrique), fournit également une sorte d’état des lieux précis. « La Chine s’est engagée à importer pour 300 milliards de dollars de marchandises en provenance d’Afrique entre 2022 et 2024. Elle a également offert 10 milliards de dollars pour améliorer la qualité des exportations africaines et une ligne de crédit de 10 milliards de dollars pour aider les petites et moyennes entreprises à exporter des produits de haute qualité sur les marchés chinois. Cependant, le suivi de ces engagements est difficile, et il n’est pas certain que ces objectifs soient atteints, ni quand ils pourraient l’être. Si le FOCAC s’est imposé comme un forum unique, il est encore largement façonné par une dynamique donateur-bénéficiaire, dans laquelle les pays africains restent en retrait tandis que la Chine prend l’initiative d’une grande partie de l’ordre du jour. Cela s’explique en partie par les faiblesses de la planification stratégique du côté africain.
Alors que la Chine publie régulièrement des documents stratégiques complets sur l’Afrique, tels que les livres blancs de 2006, 2015 et 2021, les pays africains n’ont pas de stratégie cohérente à l’égard de la Chine. La Chine avait publié sa Vision 2035 de la coopération sino-africaine peu après le sommet de Dakar (novembre 2021). Élaboré avec les contributions des pays africains, ce document reprend les priorités de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA), notamment en ce qui concerne les partenariats de développement, le commerce et l’investissement, la croissance verte, le développement des ressources humaines et l’industrialisation.
Curieusement, les pays africains n’ont pas rédigé leur propre document exprimant les intérêts de l’Afrique et expliquant comment la Vision 2035 pour la Chine et l’Afrique pourrait faire progresser leurs plans de développement nationaux. La Chine, en revanche, est très claire quant à ses objectifs. La Vision 2035 Chine-Afrique est alignée sur la propre Vision 2035 de la Chine, qui cherche à consolider le statut de la Chine en tant que grande puissance. Une lecture attentive des deux documents montre que la Chine considère son engagement avec les pays africains comme un moyen de faire progresser sa quête du statut de grande puissance, un moyen d’arriver à ses fins. Le FOCAC, et plus généralement la politique sino-africaine, est souvent critiquée pour sa lourdeur au sommet et son orientation excessive vers les relations d’État à État.
Une grande partie du FOCAC se déroule à huis clos et sans la présence d’experts indépendants. Cela exclut de nombreux acteurs africains de premier plan. Cela empêche également un contrôle efficace. C’est l’une des raisons pour lesquelles les résultats du FOCAC sont difficiles à quantifier, à suivre, à évaluer et à améliorer. Les citoyens africains demandent de plus en plus aux gouvernements africains de remédier à ces lacunes et à d’autres afin de garantir que les Africains ordinaires tirent le maximum de profits d’une initiative qui aime se présenter comme un modèle de coopération gagnant-gagnant », présente cette autre structure spécialisée, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
Au moment où le continent s’est donc déporté à Pékin, des éléments sont réunis pour ressasser cette angoissante question de l’éminent historien burkinabè, Pr Joseph Ki-Zerbo : “A quand l’Afrique ?”. Cette Afrique de laquelle tous s’accordent pourtant à reconnaître les immenses richesses, mais qui, malgré ses 54 Etats et le privilège de compter autant de sommets et d’ “amis’’ en son nom à travers le monde, ne parvient même pas, jusque-là, à obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des nations-unies, ce lieu où se décide le sort du monde !
C’est simplement symptomatique et interpellateur …
Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net